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Edwood
5 mai 2012

Katel



Parfois avant de m’endormir, dans le noir, le regard fixé sur le néant du plafond, il m’arrive d’avoir des flashs de souvenirs. Je n’en comprends pas trop la cause. C’est peut-être dans ces instants de pure solitude, sans rien d’autre à faire que penser et ressasser, que mon esprit décide de bien faire peser le temps qui passe en me rappelant des phases lointaines, qui paraissent si exagérément éloignées que je pourrais les penser tirées d’une autre vie.

Ce soir sans aucune raison j’ai repensé à ma période de colocation, la fin plus précisément. J’en avais déjà parlé. Pour resituer le truc, c’était donc au terme de deux années de vie commune avec mon meilleur pote, à la fac. Des années où les limites avaient été bravées, où la déchéance avait atteint son paroxysme. C’était le moment où, dans une tour abritant près d’une centaine de locataires, le concierge de la résidence avait décidé de venir nous rendre visite tout spécialement à nous, de bon matin, après avoir contacté nos parents vis-à-vis de notre conduite inacceptable. Mon ami lui avait pour ainsi dire conseillé de retourner dans sa cave à vin, agrémentant la chose de quelques politesses pour discréditer le pauvre homme, telles que « Allons, visiblement vous n’êtes pas à jeun… ». Bref, le temps était venu sur décision maternelle de nous séparer et d’entamer notre vie chacun de notre côté.

Il restait donc environ un mois avant l’été et avant l’heure de déménager. Pas vraiment refroidis par ces évènements, nous profitions des derniers jours pour apprécier la vie en colocation et le cadre confortable dans lequel nous vivions.
Durant notre temps de vie dans cette tour nommée « Eurofac » nous n’avions pas vraiment sympathisé avec nos voisins, hormis peut-être un, relativement encombrant, répondant au doux nom de Zébulon. Le brave homme s’invitait chez nous au petit déjeuner, venant emplir l’appartement et nos visages de fumée d’herbe fraiche qu’il cultivait un peu plus loin chez lui au même étage, pendant que nous mangions nos céréales. Il va sans dire que nous n’apprécions guère ces intrusions matinales, mais ça faisait toujours une connaissance hors du cadre de la fac.

Nous passions nos soirées généralement à trois, pas avec Zébulon même s’il faisait régulièrement irruption à notre domicile, mais avec le chat, un vieil ami qui nous avait suivi à Bordeaux et qui « vivait » avec nous la plupart du temps, entrant et repartant souvent sans nous adresser le moindre mot, gisant sur le canapé-lit du salon devant la télé des heures durant, d’où son sobriquet affectueux.

Les soirées se réchauffaient, et le chat installé confortablement sur sa couche, nous alternions entre télé, PC, guitare, et vagabondages sur le balcon, où nous fumions paisiblement nos cigarettes dans la pénombre.
C’est lors d’un de ces moments privilégiés sur le balcon, absorbé par la contemplation du parking de la grande résidence où nous vivions et des volutes de fumée que j’exhalais, que j’ai un beau soir entraperçu la voisine qui vivait à côté de chez nous, juste derrière le mur, elle aussi accoudée au balcon à quelques mètres de moi.

Jusqu’à ce jour nous n’avions pas la moindre idée de son existence. C’était peut-être la semi obscurité du moment ou l'alcool et les drogues, mais sur le coup, je me souviens que je l’avais trouvée vraiment très jolie. Le fait de l’avoir vue, perdue dans ses pensées tout comme moi, observant tranquillement la nuit, ne me l’avait rendue qu’encore plus mystérieuse et attirante.

Bien entendu, sitôt ma cigarette terminée, je m’étais empressé d’aller avertir le chat et mon pote de la présence d’une telle créature à quelques mètres seulement de nous. Ces derniers s’étaient donc subtilement débrouillés pour l’entrevoir, et nous en avions conclus que non, il ne s’agissait pas uniquement de l’obscurité.

Comme vous vous en doutez, pas vraiment doués pour la drague ou pour le contact humain en général, nous vivions donc désormais avec la connaissance de ce fait terrible qu’une jeune femme charmante vivait de l’autre côté du mur, apparemment seule, et qu’aucun de nous ne ferait le moindre effort pour faire sa connaissance.

Le temps passa. Et si d’occasion il nous arrivait d’essayer de provoquer le destin en jouant quelques chansons en son honneur en espérant la voir débarquer chez nous, attirée par si douce mélopée, rien n’arriva, et c’est ainsi que les choses devaient se terminer. Du moins presque, car quelques jours à peine avant le déménagement, rongé par le remord, me vint soudain l’idée folle de tenter quelque chose, de ne pas m’avouer vaincu par la vie et par notre couardise. Je décidais donc de mener une enquête, et par déduction finissais par trouver au milieu de la centaine de résidants la boite aux lettres avec son nom.
Mais vous me connaissez, cet instant de bravoure présageant normalement l’action n’en avait pas vraiment été un, et la connaissance de son patronyme n’avait en fait rien apporté du tout, et n’avait certainement pas émoussé ma timidité et mes a priori. D’autant que je me voyais mal aller toquer à sa porte pour lui dire « Salut, on ne se connait pas, mais je m’en vais.». Les derniers jours, je m’interrogeais donc sur les éventuelles actions que je pourrais mener pour engager contact avec l'inconnue, sans vraiment savoir quoi faire.

Lâche comme aucun autre, mais me maudissant de laisser peut-être filer entre mes doigts une chance de rencontrer le potentiel amour de ma vie, je décidais finalement de faire quelque chose, au terme d’une soirée fortement alcoolisée, et après avoir laissé les hasards de la vie décider à ma place. J'avais réussi à jeter une boule de papier trois fois de suite dans la poubelle, il s'agissait sans aucun doute d'un signe divin. J’adoptais donc la seule possibilité me semblant faire sens : j’écrivais une lettre mystique à déposer dans sa boite aux lettres avant mon départ. Dans celle-ci, très brève, je lui expliquais mon déménagement et le fait que nous étions voisins,  et lui exprimais le mystère qu’elle avait provoquée dans mon esprit les quelques fois où je l’avais entraperçue. Je lui laissais également mon e-mail, au cas où elle aurait souhaité répondre, sait-on jamais.

Et c’est ainsi que je quittais Eurofac, avec la sensation d’un travail bien fait.

Je ne donnais pas cher à la suite de cette histoire, et imaginais déjà son rire à la lecture d’une missive si pathétique. Je sais que moi j’aurais ri. Je décidais donc d’oublier cette affaire, au moins satisfait d’avoir fait un geste en sa direction, fier de ce courage incroyable qui me caractérise.

Mais, rebondissement inattendu, quelques jours plus tard je vis une réponse arriver dans ma boite e-mail. Plusieurs états me parcoururent avant l’ouverture de son message. La honte, tout d’abord, de toute cette manœuvre ridicule ; puis l’inquiétude. Allais-je me faire gentiment remballer, insulter ? Allais-je trouver un « LOL » bien senti pour tout texte ? Mon égo serait-il brisé ? Je ne la connaissais absolument pas et c’était tout à fait possible. C’est le cœur battant que j’ouvris son e-mail, et avec surprise et soulagement que je découvris que non. La très charmante jeune femme était apparemment très compréhensive et sympathique, et sa réponse me ragaillardit quelque peu. Elle y indiquait qu’elle trouvait elle-même mon message intriguant (c’était un peu le but, certes), qu’elle voyait qui j’étais et qu’elle était tout à fait disposée à ce que nous fassions connaissance si je le souhaitais. Yay-oh. Mais elle y indiquait également qu’il était dommage que ça arrive à ce moment-là car elle déménageait elle aussi, et partait en Espagne plusieurs mois. Elle me donnait son numéro de téléphone et son prénom, Katel, et m’invitait à la contacter quand j’en sentirais l’envie (le courage).

Au terme de plusieurs heures d’effroi à l’idée d’aborder une parfaite inconnue en devant lui expliquer le pourquoi du comment j’avais fait ça, je finissais par l’appeler. Et étrangement, tout se passa bien. Décidément très sympathique, nous discutâmes, et après m’être assuré qu’elle savait bien lequel des deux j’étais afin d’éviter toute méprise (ou des trois… même si compte tenu de sa réponse courtoise je me doutais qu’elle ne m’imaginait pas être le chat, charmant personnage appréciant observer les voisins d'en face avec ses jumelles), nous fîmes donc connaissance, Katel et moi. Elle me surprit, en me dévoilant qu’elle aimait s’endormir au doux son des guitares et de la musique de l’autre côté du mur, alors que je pensais qu’elle aurait été horrifiée par les cris d’animaux et autres rires abrutis qu’elle aurait normalement dû entendre.

La conversation ayant porté ses fruits en matière de cordialité et d'absence d'humiliation, nous restâmes donc en contact, par e-mail vu son départ précipité pour l’Espagne. C’est ainsi que les mois passèrent, et nous eûmes le temps de partager beaucoup de choses par ce biais, comme deux jeunes de l'an 2000. Nous nous découvrîmes l’un l’autre, et nos goûts communs et sa personnalité ne faisaient que renforcer ma conviction qu’il se passait quelque chose

Car voilà comment j’ai rencontré la femme de ma vie et désormais épouse, Katel.

C’est ce que j’aurais pu dire dans un univers parallèle. En fait après quelques mois Katel est rentrée en France, elle m’a invité à aller voir un concert avec elle et ses amis mais je n’ai pas pu, et ensuite elle est retournée vivre définitivement en Espagne et nous avons perdu contact à tout jamais.

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Commentaires
J
Déception! J'ai vraiment cru, moi aussi que cette histoire terminerait bien >__<
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J
Ahah c'est mignon <3 Ce genre de happy end ça n'arrive malheureusement que dans les films. Ou sur Minecraft.
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F
J'étais tenue en haleine par le romantisme dingue de cette histoire et quand j'ai lu le mot épouse j'ai lâché mon plus beau "Awwwww". Espèce d'escroc :)
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E
Tu crois que les gens préfèreraient les aventures d'un gros monsieur au crâne dégarni qui vit à la rue et qui jette ses excréments sur les passants ? Parce que je peux devenir cet homme s'il le faut.
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M
Ah la jeunesse et ses amours perdus! Et je te reconnais bien là, toi l'irréductible séducteur, usant de tous les stratagèmes possibles pour attirer dans tes filets les âmes innocentes... Allant même jusqu’à te faire passer pour un homme solitaire, timide et mystérieux, jouant de sombres mélopée sous le clair de lune lors de chaudes soirées d'été...
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