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Edwood
28 août 2011

Le Prisonnier

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Lecteur, aujourd'hui je vais t'en dire plus sur ma vie. Je vais te permettre de pénétrer mon passé et de remonter le long fleuve tortueux d'un des nombreux traumas qui me rongent l'existence.


J'ai passé toute mon adolescence dans une pittoresque bourgade du Pays Basque, appelée "Saint Jean de Luz". Tu reconnais probablement ce nom, habituellement accompagné dans une phrase de quelque expression joyeuse comme "bath" ou "tekno", parce que Saint Jean de Luz la côte, Saint Jean de Luz les vacances, Saint Jean de Luz la mer. Eh bien laisse-moi te dire que Saint Jean de Luz la MERDE.

Saint Jean de Luz est le lieu typique où on aime passer ses vacances : Petite ville tranquille, avec son petit port, ses petites bicoques, ses petits habitants. On y trouve la plage, des restaurants traditionnels, des boutiques de souvenirs hors de prix. Bref, le repos, le plaisir, le soleil et les baignades.

Mais vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressemblait ce lieu magique de vos vacances une fois que vous l'aviez quitté, fin Août ? Vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvait bien ressembler la vie de ces gens qui y résident toute l'année, qui y vont au collège, au lycée ? Non, bien sûr que non. Et vous avez eu raison. Cela vous aurait probablement déprimé pendant plusieurs années. La vérité, c'est que le temps ne s'arrête pas après votre départ jusqu'à l'été suivant. Je le sais, j'ai été un de ces gens.


Alors que les années lycée sont habituellement l'occasion de s'ouvrir au monde, de concrétiser ses premières relations amoureuses ou sexuelles et d'apprécier la vie dans tout ce qu'elle a de plus acnéique, j'ai pour ma part passé une période lycée chaotique. Au pays Basque, les goûts des gens se résument à quelques notions : Rugby, Pelote Basque, Surf et Chants Basques. Les Basques sont des gens qui se battent par exemple pour que le panneau "STOP" soit écrit en Basque. De nature différente, étant ouvert d'esprit à d'autres cultures et à d'autres horizons que ceux-ci, j'ai donc eu beaucoup de mal à sociabiliser avec mes camarades. J'ai passé l'essentiel de mon temps de vie là-bas avec quelqu'un, quelqu'un exactement dans le même état d'esprit que moi. Je n'ai trouvé personne d'autre. Un seul être capable de comprendre dans tout le lycée.

Au gré des années, nous en sommes venus à penser que nous disposions d'une intelligence supérieure face aux autres êtres qui nous entouraient. Nous avons donc petit à petit développé un fort complexe de supériorité, bien qu'encore aujourd'hui, je continue de me questionner sur la véracité du complexe, et me demande s'il ne s'agissait pas tout simplement d'un bien fondé.


Malheureusement les Basques aiment aussi l'esprit de communauté. Et l'accordéon. Or, deux parias qui regardent des films d'auteurs, cultivent un humour décalé et écoutent des musiques composées d'autre chose que d'accordéon, n'ont pas réussi à remporter le respect normal qui aurait dû en découler dans toute autre société capable de reconnaitre une élite intellectuelle au sein de ses membres.
Dotés d'une capacité d'adaptation caméléonesque après des années de survie au sein de ce peuple ingrat, nous aurions facilement pu continuer de feindre l'intérêt pour leurs valeurs et leurs goûts et nous mélanger à eux. Mais nous n'en avions plus envie, nous étions las. Nous avons donc préféré nous auto-exclure de cette société, et vivre comme des rejets, sans même l'espoir de passer pour des incompris.

Ainsi donc, à chaque intercours, même s'il n'était que d'une durée de 10 minutes pendant que le prof allait chercher un verre d'eau, nous nous échappions hors de l'enceinte du lycée afin d'aller avaler quelques goulées d'air libre ou de nicotine à pleins poumons, libérer notre esprit oppressé, plutôt que d'avoir à échanger le moindre mot avec les autres. Quand venait l'heure de manger, nous trouvions mille ruses pour fuir la cantine et partir en expédition en ville (cf. Cantine Buissonnière). En gros, à la faveur de la moindre occasion nous quittions l'établissement. Nous revenions souvent en retard. Et pour tout vous dire, mon taux d'absentéisme en 1ère et en Terminale a frôlé le record national. J'avais sur mes bulletins des commentaires tels que "Une seule note n'est pas suffisante pour établir une moyenne", "Ne connait pas l'élève", ou encore "Jamais vu".

Voilà pour la situation. Comme vous l'aurez compris, nous avions donc un temps fou à tuer dans Saint Jean de Luz.

Autant vous le dire tout de suite, si les premiers mois de lycée ont marqué dans mon esprit une sensation de pure liberté après le collège, c'est à dire la découverte du fait qu'on était devenus "responsables", et donc qu'on pouvait quitter l'établissement quand nous le souhaitions afin d'aller voler à l'étalage ou dégrader des biens publics, la suite aura été bien moins joyeuse.

Les premiers temps, je découvrais la ville, visitais quelques commerces, la gare, un disquaire. Je prenais mes marques, j'étais heureux.

Tois ans plus tard, après avoir arpenté chaque parcelle de la ville plus de 5000 fois de mes pieds las et usés, j'avais l'impression d'être pris au piège sur une île maudite. Il y avait des points-clés où nous nous retrouvions, mon compère et moi : "La gare", "Le disquaire", "La sandwicherie". Et c'était tout. C'était Saint-Jean-de-Luz. Car ces trois lieux étaient au final les seuls endroits susceptibles de fournir un quelconque intérêt. Et encore, la gare nous servait simplement de banc où nous asseoir hors du lycée. Le disquaire n'avait pas reçu de nouveau CD depuis près de 10 ans, et faisait payer le moindre album d'occasion 50€. La sandwicherie nous nourrissait. Voilà. Pendant trois ans. Rien de plus.

Nous ressemblions à des lions de cirque dans leur cage, la cage étant cette ville damnée. Nous tournions en rond, perdant la raison et la patience dans ce lieu oublié du reste de la race humaine entre Septembre et Juillet. Nos imaginations pourtant fertiles et notre curiosité à fleur de peau se retrouvaient bridées au niveau le plus bas de l'existence. Nous croisions dans la rue les mêmes gens tous les jours, toutes les minutes. A tel point que nous en devenions fous.


Tout a commencé un soir, quand nous avons surpris un fait étonnant. Le même homme, à plusieurs reprises, à plusieurs endroits différents, au beau milieu de la nuit vers 3h du matin. La rue était complètement déserte, ainsi ne fut-il pas difficile de le remarquer quand nous le croisâmes une première fois, en sortant d'un endroit lambda. Un homme étrange, semblant venu d'ailleurs et sans endroit réel où aller. Nous en prîmes note quelque part dans un recoin de notre cortex, et continuâmes notre route. Une demi-heure plus tard, fort loin de là, nous le croisâmes, à nouveau face à nous, affublé d'un chapeau. La logique aurait voulu que s'il suivait bien la direction dans laquelle nous l'avions vu aller la première fois, il n'aurait pas dû pouvoir se trouver à cet endroit là, quel que soit son itinéraire. Et encore moins avec un chapeau. A moins bien entendu qu'il n'ait couru dans une rue parallèle pour nous rattraper après être passé chez lui se changer. Or le malhonnête homme faisait mine de rien, comme s'il déambulait le plus innocemment du monde à ces multiples endroits déserts à 3h. Nous en avons donc déduit tout naturellement qu'il nous espionnait et essayait de nous berner par cette attitude désinvolte et son couvre-chef.

Ce n'était que le début.

Suite à cet évènement, nous nous sommes mis à devenir méfiants. Nous avions ainsi élaborés une théorie comme quoi ces gens que nous croisions sans arrêt étaient en fait des figurants. D'ailleurs nous les appelions directement "Les figurants". Il y avait Figurant n°1, Figurant n°2 et ainsi de suite.
Il faut dire que certains Figurants semblaient vraiment sortir d'un mauvais film d'espionnage. Car après avoir décidé d'ouvrir les yeux sur leur condition et de devenir douteux du moindre d'entre eux rencontré au détour d'une ruelle, marchant derrière nous, ou caché derrière un mur, nous découvrîmes qu'il ne pouvait plus à ce niveau là s'agir de simples hasards, et que quelque chose se tramait bel et bien dans notre dos. Nous nous amusions à essayer de les reconnaitre sous leurs costumes parfois plus que farfelus, riant de la supercherie si peu discrète. Oui, nous croisions tellement souvent les mêmes gens que cette théorie était crédible.

C'est là toute l'horreur d'une ville comme Saint Jean de Luz. Elle nous avait rendus littéralement paranoïaques. Je me souviens même d'un jour de pure folie où, excédé de recroiser sans arrêt la même personne à divers endroits, rendu hors de moi par cette folie d'isolement et de dépression qui naissait dans mon esprit, j'étais allé lui hurler dessus comme un maniaque dangereux, "JE SAIS CE QUE TU FAIS !!". L'homme m'avait regardé d'un air faussement incompréhensif et avait peut-être même esquissé un sourire, trahissant une culpabilité quelconque que j'avais mis au jour par mon accusation délirante.

Au terme de ma terminale, j'avais envisagé les deux possibilités suivantes : Avoir mon bac et foutre le camp au plus vite, ou le rater, et partir me noyer en mer. Dire adieu à ce monde. En finir au milieu des mérous et des méduses. Même si à mon avis un dispositif serait intervenu pour m'en empêcher comme dans Le prisonnier. Probablement une grosse boule blanche avec un béret basque et faisant un son d'accordéon.

Fort heureusement, j'eu mon bac, et parallèlement à cela, les vacances suivantes nous nous rapprochâmes par hasard d'un groupe de gens "différents", des rescapés avec qui nous pûmes enfin partager des moments, des nuits allongés sur la plage, à regarder les étoiles en jouant de la guitare, et en buvant beaucoup d'alcool. De l'alcool pour oublier celle que l'un d'eux, devenu un de mes meilleurs amis, surnommait "Saint Jean de Blues".

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Commentaires
X
Alors????? On attend nous ! ^^<br /> XD XD !!!!!!!!!
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C
Les deadlines, qui sont-elles et quels sont leurs réseaux?
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Y
De l'émotion, du rire, des leçons de vie et des photos montages... une bien belle note. <br /> <br /> "j'étais allé lui hurler dessus comme un maniaque dangereux, "JE SAIS CE QUE TU FAIS !!"<br /> > Est-ce que c'est vrai ou est-ce que c'est pour la gloire du récit?!
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D
Je me suis toujours demandé ce que c'était de vivre dans ce genre de villes les autres 10 mois de l'année. C'est pas très loin de ce que je m'imaginais. Enfin, il y a ça soit l'autre. Tu sais le mec populaire parfaitement intégré, qui ne se pose pas de question et qui profite de sa situation pour baiser plein de meufs tout en ayant le respect de tout le monde et surtout des "vieux"... Bref ce commentaire commence à être long
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A
J'ai aimé ton photo-montage
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